En persistant dans l’exploration de la condition de l’artiste en tant que travailleur, à la suite de l’œuvre Notre condition, il s’agit d’exprimer, à travers une forme d’autoportrait, les conditions authentiques de travail d’un artiste confronté aux impératifs de la pluriactivité pour répondre à ses besoins fondamentaux. Sur le canevas temporel d’une semaine de 35 heures, référence suffisamment ancrée dans la connaissance collective, et après avoir retranché les contingences du travail économique, il ne me reste à peine plus de 5 heures de créativité pure. Idéalisé dans sa forme statutaire par l’ère néolibérale, le travail de l’artiste n’en renferme pas moins un paradoxe endogène, mis à l’épreuve de la réalité systémique.

Plis, coutures et modelés émergent sous la pression délicate et délibérée du geste, formant un relief dynamique. L’application de la couleur dorée, sous le rouleau de la presse, écrase, lisse ; rien ne doit transcender pour une esthétique parfaite.

Pierre-Michel MENGER, Portrait de l’artiste en travailleur, Editions du Seuil et de la République des idées, 2002

Le temps n’est plus aux représentations héritées du XIXe siècle, qui opposaient l’idéalisme sacrificiel de l’artiste et le matérialisme calculateur du travail, ou encore la figure du créateur, original, provocateur et insoumis, et celle du bourgeois soucieux de la stabilité des normes et des arrangements sociaux. Dans les représentations actuelles, l’artiste voisine avec une incarnation possible du travailleur du futur, avec la figure du professionnel inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrinsèquement motivé, pris dans une économie de l’incertain, et plus exposé aux risques de concurrence interindividuelle et aux nouvelles insécurités des trajectoires professionnelles. Comme si, au plus près et au plus loin de la révolution permanente des rapports de production prophétisée par Marx, l’art était devenu un principe de fermentation du capitalisme. Comme si l’artiste lui-même exprimait à présent, avec toutes ses ambivalences, un idéal possible du travail qualifié à forte valeur ajoutée.